Ouest lubrique (1/5)
Ancien monde, 2066
Derrière les vitres, Maud regardait s’éteindre une à une les lumières du Palais présidentiel. Il n’en resta bientôt plus qu’une au premier étage : celle du bureau de Grégory. Ce dernier travaillait tard, même ce soir où ils avaient prévu de dîner chez Fourvé. Enfin, Grégory avait prévu. Depuis un an qu’ils avaient emménagé dans cet appartement cossu, son amant décidait de tout : de ses horaires, de ses sorties, de ses fréquentations. Ces dernières se réduisaient aux connaissances du président, généralement d’âge canonique. C’était le cas de tous les habitants de cette ville, sauf dans le quartier de L’Ouest. L’endroit, plutôt mal famé, intriguait Maud depuis son arrivée, mais Grégory avait toujours rechigné à l’y emmener. Pourquoi avait-il changé d’avis ? Mystère. Lorsqu’il le lui avait annoncé dans l’après-midi, elle était tombée des nues.
– Le quartier de l’Ouest ! Je n’aurais jamais cru que tu m’emmènerais dans ce lieu de perdition.
– Eh oui ! Tout arrive. Tiens-toi prête pour vingt heures. J’accorderai sa soirée à Dimitri. Une voiture sans chauffeur attirera moins l’attention. On ne m’aime pas beaucoup, là-bas.
– Et tes gardes du corps ?
– Je me charge de les semer.
En tant que plus haut personnage de l’État, Grégory était constamment sous surveillance et Maud aussi de ce fait. Ils avaient eu le plus grand mal à s’aménager un espace d’intimité.
Le carré jaune de l’unique fenêtre plongea dans l’ombre à son tour. Maud connaissait exactement le temps qu’il fallait à Grégory pour la rejoindre. Elle vérifia son reflet dans le miroir. Celui-ci lui renvoya le reflet d’une jeune fille grande et mince, aux yeux gris et aux cheveux châtain, que la clarté de sa peau rendait presque noirs. Pour le reste, elle était vêtue de façon classique : pantalon droit, sobre chemisier et ballerines plates – l’absence de talons permettait à Grégory de ne pas souffrir de sa taille exiguë –. Elle entendit son pas dans l’escalier : vif et pressé en dépit d’une journée épuisante, puis le bruit de la clé tournant dans la serrure. Enfin, Grégory s’encadra sur le seuil de la chambre. Au début, la simple apparition de cet homme provoquait chez Maud un émoi profond. Avec le temps, leurs rapports étaient devenus plus apaisés, elle le regrettait un peu. À son âge – vingt et un an –, n’aurait-elle pas dû être perpétuellement ravagée par la passion ?
Grégory entra, un paquet oblong sous le bras gauche et un sac dans la main droite. Au lieu de l’embrasser, il se recula un peu et la considéra, les sourcils froncés.
– Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, inquiète.
– Tout, à part la coiffure. Je t’emmène dans un restaurant sélect et tu t’habilles comme si tu allais au boulot.
Au bord des larmes, elle le vit poser paquet et sac sur le lit et déballer leur contenu. Une robe noire, en cuir, pour le premier ; des escarpins à talons vertigineux pour le second.
– Faut-il vraiment que je porte ces trucs ? s’étonna Maud. Ça fait un peu pute.
Il sourit, ce qui ne lui arrivait guère ces derniers temps. Hormis sa jeune maîtresse et son médecin, personne ne connaissait la raison de cette humeur sombre. Les problèmes de prostate du Président étaient classés secret défense. Il renâclait à l’idée d’une opération.
– Tu comprends, avait-il expliqué à Maud, tout le monde se foutrait de moi.
– Je comprends. Tu préfères endurer le martyr plutôt que de faillir à ta réputation de cavaleur.
Le visage de Grégory, s’était assombri.
– Tu te trompes, avait-il murmuré à voix basse. Il n’y a que toi dans ma vie et je ne te baise presque plus. Si je me remets entre leurs mains, ce sera la fin.
Elle l’avait attiré à elle et embrassé en lui jurant que le sexe n’avait pas d’importance. On n’en avait plus reparlé jusqu’à ce soir où il lui avait apporté cette toilette si peu dans son genre.
– Mon cadeau ne te plaît pas ? demanda-t-il.
– Si, cette robe est très belle. Simplement, elle ne correspond pas à ma personnalité.
– Essaie-la et tu verras.
Pourquoi refuser cette petite satisfaction à un homme qui n’en éprouvait plus beaucoup ? Le temps de se dépouiller de ses vêtements, lingerie de coton comprise, Maud se retrouva à poil devant Grégory. Ce genre de strip-tease n’était pas nouveau. Depuis un an, il s’était maintes fois renouvelé. Au début, le Président n’attendait pas la chute de la dernière pièce pour sauter sur sa jeune maîtresse. Maintenant, il se contentait de mater, les bras croisés, sans manifester d’émotion apparente. Comme ce soir. Au fond, Grégory a raison, pensa Maud. Je suis trop sage, pas assez sexy, pas assez inventive.
En enfilant la robe, elle s’attendait à un contact froid et désagréable, mais le cuir était doux et épousait les sinuosités de son corps. À ce moment, Grégory tira de sa poche une paire de bas, un slip de dentelle noire et un porte-jarretelles assorti. Maud ironisa :
– La totale, quoi.
Grégory la laissa mettre la culotte. Après quoi, il fit glisser les bas le long des jambes galbées. Maud éprouva sur sa peau la douceur de leur matière.
– On jurerait de la soie, souffla-t-elle.
– C’est de la soie. Ils viennent de chez Tabs. Pour une fois qu’il a à fournir une belle jeune femme au lieu des vieilles biques habituelles !
Maud eut plus de mal avec le porte-jarretelles. Grégory dut le lui agrafer lui-même et ce contact intime provoqua en elle un frisson auquel, hélas, rien ne succèderait. Quant aux escarpins à talons aiguille, elle n’était pas sûre de pouvoir marcher avec jusqu’à la voiture.
– Tu n’auras que quelques mètres à faire, plaida Grégory. La voiture est garée au pied de l’ascenseur et le Fourvé possède un parking.
Luxe inusité dans ce quartier aux ruelles en pente, mais Maud avait encore une objection.
– Mais j’aimerais marcher, enfin…me promener, visiter un peu.
– Visiter quoi ? À part des péripatéticiennes, des macs et des homos, il n’y a rien à voir.
– Pourquoi y allons-nous, alors ?
– Ne sois pas si curieuse. C’est une surprise.
*
Au fur et à mesure de l’avancée de la limousine noire dans la nuit pluvieuse, Maud sentait croître son excitation. Balayées les appréhensions de tout à l’heure. C’est avec aisance qu’elle pénétra dans le restaurant. Aucun débordement visible, pas de serveuse aux seins nus circulant entre les tables comme le prétendaient les mauvaises langues. Les clients se tenaient bien et étaient vêtus correctement. Oh ! Il y avait bien quelques robes à la limite de la décence, dont celle de Maud elle-même, et des chaussures haut-perchées comme les siennes.
– On croirait que tu as porté des stilettos toute ta vie, chuchota Grégory à son oreille.
– Dans une autre vie, peut-être.
Il la contemplait avec admiration. Désir, aussi. Ce soir ne serait pas comme les autres. Le plaisir renaîtrait. Elle ne se doutait pas du détour qu’il allait prendre.
Leur arrivée avait fait se retourner toutes les têtes. La première surprise passée, les clients revinrent vite à leur assiette. La cuisine du Fourvé était moins raffinée qu’à la Tour de l’Avenir, mais ils avaient un de ces rouges capiteux qui vous montait au cerveau.
– Crois-moi, il vaut les grands crus, reconnut Grégory.
Il paraissait tout à fait détendu. Au point de raconter la dernière histoire de fesses qui courait les cabinets ministériels. Tel Secrétaire d’État couchait avec sa secrétaire et le mari les avait surpris dans une posture intéressante.
– Dans son propre bureau, encore. Tu imagines la scène. Si l’on ajoute qu’il s’agit du Secrétaire d’État aux transports.
Après s’être esclaffée. Maud observa :
– Vu que toi et moi ne sommes pas mariés, ça ne risque pas de nous arriver.
Grégory ne releva pas le propos, mais son sourire était plein de sous-entendus. Il proposa sur un ton enjôleur :
– Et si nous partions ? J’ai envie d’une petite virée au Fahrenheit. Pas toi ?
Cette requête ne supportait pas de refus. Maud le comprit. Le déroulement de la soirée avait été réglé à l’avance, depuis la tenue coquine étalée sur le lit jusqu’à l’enseigne rouge du club vers lequel ils se dirigèrent au sortir de chez Fourvé. Grégory avait-il aussi prévu la suite des évènements ? Maud n’osa pas l’interroger. Elle craignait de rompre le fil conducteur d’un scénario si bien ficelé.
Ils passèrent sans transition de la nuit glaciale à la chaleur moite de la boîte. L’entrée du Fahrenheit figurait une énorme bouche aux lèvres écarlates. Rouge aussi l’intérieur, du moins pour ce qu’on pouvait en deviner. Les banquettes et leurs occupants disparaissaient dans l’ombre. Personne sur la piste de danse à peine plus éclairée.
– Un peu tôt, commenta Grégory. Ça nous laisse le temps de digérer.
Maud trouvait l’ambiance lugubre ; cette lumière voilée, ce rouge, cette musique jazzy distillée en sourdine, mais elle ne dit rien. Grégory la guida d’une main sûre à travers les rangées de fauteuils. À peine étaient-ils assis qu’un serveur se pointa avec du champagne.
– Du Mumm Cordon rouge, ma chérie, apprécia Grégory en connaisseur. Bois-en un peu. Ça te détendra.
– Je suis…
Sa protestation se perdit dans la musique latino qui succédait aux accords soporifiques. Des ombres surgirent des banquettes et se jetèrent sur la piste. Des vieux : mâles et femelles, venus s’encanailler et quelques jeunes, en majorité des garçons entre vingt et trente ans. L’espace étroit se remplit. Les pieds de Maud se mirent à battre la mesure. D’un hochement de tête, car la moindre parole se noyait dans la musique, Grégory lui fit signe qu’elle pouvait y aller. Maud se leva et franchit les quelques mètres qui la séparaient du cercle bruyant. Après quelques pas hésitants, elle commença à se déhancher comme les autres. Elle s’abandonnait au rythme de la salsa quand elle sentit sur elle le poids d’un regard brûlant.
*
L’homme ne dansait pas. Il se tenait debout au bord de la piste et la regardait. Aucun doute là-dessus. Elle le regarda aussi, du coin de l’œil : brun, vingt-cinq ans environ, de taille moyenne, bien bâti. Beau ? Maud ne pouvait pas se prononcer, l’inconnu était trop loin. De plus, masqué par les danseurs. Elle le perdit de vue, le retrouva au hasard d’une figure, le reperdit, l’aperçut à nouveau. Il avait toujours les yeux braqués sur elle avec une obstination patiente. Que faire ? Pas question de rejoindre Grégory. La proximité de ces épidermes échauffés par la danse enfermait Maud dans une bulle de bien-être dont elle n’avait pas envie de s’extraire. Elle décida d’ignorer ce regard dévorateur. L’homme finirait par se lasser. Son attention se porterait ailleurs, sur une de ces femmes mûres qui se dandinaient à côté. Mais non. Elle avait beau lui tourner le dos, elle sentait un feu ardent la brûler entre les omoplates, transpercer sa robe de cuir. Elle avait hâte que ça finisse, que la musique s’arrête. Une série de slows remplaça les rythmes endiablés. Les danseurs se dispersèrent.
Maud allait les imiter lorsqu’une main effleura son épaule.
– Vous dansez ?
La voix basse, sans timbre particulier, résonna comme un tambour aux oreilles de Maud. L’inconnu était devant elle, tout près et attendait. Pas beau, en fin de compte : une tignasse emmêlée, des sourcils broussailleux. Il devait être velu, sentir le fauve. Maud détestait. Ce qu’elle aimait, c’était le corps glabre de Grégory, le parfum de son eau de toilette, même s’il ne la baisait plus. Elle fit « Non, non » de la tête tout en désignant d’un index vague l’endroit où devait se trouver son compagnon.
– Il est d’accord, ne vous en faites pas.
Comment, d’accord ? Maud n’eut pas le temps de s’étonner que déjà l’homme l’enlaçait, la plaquait contre lui. Ils étaient de la même taille. Pas un géant, ce mec, pas un costaud non plus. D’où tirait-il son culot monstre ? Si Maud n’avait pas eu peur d’un esclandre, elle se serait dégagée et serait retournée s’asseoir. Trop tard. C’était avant qu’il fallait. Que faisait Grégory ? Impossible que la scène lui ait échappé. Il y avait peu de couples sur la piste.
– Détendez-vous, murmura l’inconnu en resserrant sa pression.
Leurs visages se frôlèrent. Au moment où il allait l’embrasser, Maud détourna la tête. Il rit, effleura de ses lèvres l’oreille où serpentaient quelques mèches. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, en direction de Grégory, mais ne vit rien. Et s’il était parti ? Ridicule. À quoi aurait rimé cette mise en scène si son instigateur se défilait ? À quoi rimait-elle ?
À cet instant, Maud cessa de réfléchir. Elle remit sa tête dans l’axe de l’autre tête et les deux bouches se rencontrèrent, mêlèrent leurs salives et leurs langues. Le corps de Maud s’incrusta davantage dans l’autre corps. De slow en slow, leur complicité s’affirma. Il y eut cette main qui caressa le cou fragile, descendit le long de la colonne vertébrale, s’attarda au creux des reins. Il y eut cette autre, plus fine, qui s’aventura sur une nuque hérissée de poils drus. Et ces poitrines écrasées l’une contre l’autre, ces ventres et ces cuisses soudés par la danse, ces sexes séparés par quelques millimètres d’agneau plongé et de toile de jean. L’homme chuchota :
– Que dirais-tu d’aller dans un coin plus tranquille ? Il y a des alcôves, là-haut.
Maud sursauta. Pourtant, elle s’attendait à cette proposition.
– Je ne peux pas, balbutia-t-elle. Je suis accompagnée.
Il rit : un rire moqueur, désagréable. Ses canines brillaient, blanches et pointues sous le faible éclairage : des dents de carnassier. Elle s’énerva.
– Qu’ai-je dit de si drôle ?
– Que tu es accompagnée. Je le savais, figure-toi. C’est même ton mec qui m’a demandé.
– Demandé quoi ?
– De t’emballer. T’étais pas au courant ?
Il avait l’air gêné. Ses mains lâchèrent le corps de Maud. Un vide énorme se creusa en elle. Elle en voulut à Grégory, à ce type qui, après l’avoir allumée, l’éloignait de lui. Elle s’entendit répondre :
– Non. Maintenant, je le suis. Si votre proposition tient toujours…
Il la prit par le bras d’un geste de propriétaire, la guida à travers les rangées de fauteuils avec la même détermination que Grégory, mais dans le sens opposé. Maud le suivit sans réfléchir. Elle aurait tout le temps après. L’homme connaissait bien les lieux ; l’escalier à emprunter, le corridor, les espèces de niches où des couples s’ébattaient déjà. Dans l’obscurité, Maud distingua ça-et-là l’éclat d’une cuisse ou d’un sexe. Des gémissements s’élevaient de ces grappes de chair agitées de furieux soubresauts. Faisaient-ils ça à deux, trois ou quatre ? Maud n’eut pas le loisir d’imaginer plus avant. Son inconnu la poussa vers une alcôve vide, la bascula sur des coussins étalés, remonta sa robe jusqu’à la taille. Il inclina son visage vers elle. Ses lèvres se posèrent sur l’espace de peau entre le bas et la culotte, se collèrent à la dentelle. Sa langue chercha le clitoris à travers le tissu, le trouva, l’aspira. Maud se mordit les lèvres pour ne pas crier. L’homme la dégusta à petits coups, sans se presser, comme s’il léchait un cornet de glace ; sauf que celle-ci était brûlante. Elle fondit, se liquéfia, déclenchant dans le ventre de Maud des ondes de plaisir. Puis tout devint tiède, puis froid. Pendant ce temps, l’homme s’était déshabillé. À nouveau il se pencha, écarta les cuisses de Maud et la pénétra d’un coup. Il chevaucha dans une prairie inondée par ses soins. Maud geignait à mi-voix. Sa tête roulait de gauche à droite au gré des secousses imprimées par son cavalier. Elle avait fermé les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, elle aperçut Grégory qui matait dans l’ombre. Juste une silhouette assise au bord de l’alcôve, mais elle savait que c’était lui. Elle l’avait reconnu à cette fragrance hors de prix dont il s’aspergeait. Il était là, aux aguets, dans l’attente de la scène finale du scénario qu’il avait élaboré dans ses moindres détails. Il voulait du spectacle ? Eh bien ! Elle allait lui en donner.
De passive, la jeune femme devint active. Elle prit l’homme par le cou, enroula ses jambes autour de ses reins, remua le bassin comme elle le faisait tout à l’heure dans la danse. Et elle cria. Tant pis pour les voisins qui d’ailleurs se fichaient pas mal de ce qui se passait à côté. Grégory en aurait pour son argent.
Elle ne croyait pas si bien dire.
*
Après avoir joui, elle avait rassemblé les débris de son slip, rabattu sa robe, récupéré ses escarpins. L’homme n’avait pas pris la peine de se rhabiller. Devait-elle lui dire au revoir ou s’éclipser sans un mot ? Il lui épargna la peine de décider :
– Je te laisse mes coordonnées, dit-il en lui tendant une carte. Tu peux m’appeler quand tu voudras.
Elle se retint de rire. Comme s’il s’agissait d’un plombier ou d’un réparateur d’électro- ménager ! Grégory avait disparu. Lorsqu’elle le retrouva dans la voiture, elle lui raconta pour détendre l’atmosphère. Sa réaction lui fit l’effet d’une douche froide.
– Jette-la ! siffla-t-il.
– Pourquoi ? Ce n’était pas prévu au programme ?
Comme il ne répondait pas, elle ajouta d’un ton provocant :
– J’aurai peut-être encore besoin de ses services.
Maud le vit grimacer dans l’ombre.
– Ça m’étonnerait. Il n’est pas dans tes prix.
– Comment, pas dans mes prix ?
– Ne joue pas les idiotes. Ce type est un prostitué. Je l’ai payé pour qu’il te donne ce que je ne pouvais plus t’offrir.
– Cher ?
– Au tarif habituel. Je crois que tu en as eu pour mon argent. Alors, épargne-moi les questions inutiles. Nous rentrons, maintenant. Autant profiter de tes bonnes dispositions.
Maud se sentit humiliée, réduite à l’état de marchandise et la nuit n’était pas finie. Pendant que Grégory la besognait, elle pensait au corps de l’inconnu ; ses épaules et son dos recouverts d’une toison foisonnante, ses fesses pommées, sa verge, non pas molle, mais gonflée de vie. Il y avait aussi son odeur sui generis, puissante, âcre qui lui avait tant déplu au début. La fusion de tous ses éléments suffit à lui procurer un orgasme. Grégory retomba à côté d’elle, comblé lui aussi. Il ne paraissait plus lui en vouloir.
– J’ai eu raison de pimenter notre relation, déclara-t-il. Si tu es d’accord, nous recommencerons. Que dirais-tu de retourner là-bas un soir de la semaine prochaine ?
Maud ouvrit des yeux stupéfaits.
– Si vite ? Je croyais que…
Il la considéra avec indulgence.
– Chérie, tu n’y es pas. Ce sera dans une autre boîte, avec un autre garçon. Je ne veux pas courir le risque que tu t’attaches à celui-là.
La virée dans le quartier de l’Ouest se renouvela de façon hebdomadaire. Le scénario était immuable : le dîner, la boîte, la danse échevelée suivie d’un slow torride, la partie de jambes en l’air. Maud voyait défiler des corps chaque fois différents et pourtant semblables. Grégory sélectionnait pour elle les plus beaux spécimens. Des blonds au teint clair, à la peau douce, parfumés comme des gonzesses. Le premier était une regrettable erreur, un hiatus. Mieux valait l’effacer.
Maud n’était pas de cet avis. Ces garçons interchangeables lui inspiraient de la lassitude, même si l’un d’eux réservait parfois une bonne surprise. Elle réinventait à travers d’autres corps les émotions éprouvées avec l’inconnu numéro un. Plus un inconnu, en fait. Elle avait désobéi à Grégory et conservé la carte. Un jour…
A suivre, la partie 2 d'Ouest Lubrique, roman de Marie Laurent