La légende des sexes
Voici un extrait de La Légende des sexes, textes hystériques et profanes, publié en 1882 par Edmond Haraucourt sous le pseudonyme du Sire de Chambley.
Et tous deux s’étonnaient de tant de différence
Dans les formes du corps et les tons de la peau.
Adam la trouvait belle ; Ève le trouvait beau.
Ils se taisaient, mais ils raisonnaient en revanche.
Adam reprit enfin : « Comme vous êtes blanche !
Pourquoi Dieu vous-a-t-il mis des cheveux si longs ?
Les miens sont courts et noirs et les vôtres tout blonds
C’est vraiment très joli, ces lourdes tresses blondes…
ÈVE
Vous trouvez ?
ADAM
Très joli… Mais ces machines rondes,
Là, sur votre poitrine, à quoi cela sert-il ?
ÈVE
Je n’en sais rien. Mais vous, au-dessous du nombril,
Qu’est-ce que vous portez dans cette touffe noire,
Sur ce double coussin ?
ADAM
Je m’en sers… après boire.
ÈVE
Seulement ? Cela doit vous gêner pour marcher ?
ADAM
Pas trop… On s’habitue.
ÈVE
Est-ce qu’on peut toucher ?
ADAM
Si vous le désirez…
ÈVE
Je suis si curieuse.
Alors, vous permettez ?... »
Ève blanche et rieuse,
Avança doucement ses petits doigts rosés,
Puis s’arrêtant soudain :
« Je n’ose pas !
ADAM
Osez !
Est-ce qu’il vous fait peur ?
ÈVE
Peur ? Oh ! non : je suis brave.
Tiens ! C’est tout rouge au bout. On dirait une rave.
C’est pour le protéger, sans doute, cette peau ?
Ce n’est pas laid du tout.
ADAM
Oh… Ce n’est pas très beau.
ÈVE
Mais si : c’est très gentil. »
Et les mignons doigts roses
Allaient, couraient, venaient, faisaient de courtes poses,
Comme des papillons voltigeant sur des fleurs.
« Oh mais, regardez donc. Il a pris des couleurs.
Comme c’est drôle ! ll est plus grand que tout à l’heure.
Il se dresse, il frémit. Ciel ! une larme : il pleure ! »
Ève essuya la larme à ses cheveux dorés.
ÈVE
« Il pleure, il pleure encore ! Est-ce que vous souffrez ?
ADAM
Au contraire.
ÈVE
Oh, monsieur Adam ! il est énorme,
Maintenant ! Il n’a plus du tout la même forme,
C’est très raide et très dur… A quoi peut-il servir ? »
Adam lui répondit, dans un profond soupir :
« Est-ce que vous croyez qu’il sert à quelque chose ?
ÈVE
Je n’en suis pas très sûre : au moins, je le suppose.
Vous m’avez dit tantôt : « Dieu fait bien ce qu’il fait. »
Toute chose a son but si ce monde est parfait.
ADAM
Oui, si Dieu m’avait dit ce qu’il veut que j’en fasse
De ce… Mais vous, comment ?...
ÈVE
Moi, je n’ai que la place.
C’est peut-être un oubli : Voyez.
ADAM (cherchant trop haut).
Je ne vois rien.
ÈVE
Non, pas là, maladroit ! Ici… Regardez bien.
ADAM
C’est juste ! On vous a même arraché la racine !
La fosse est toute fraîche… Est-ce que la voisine
Communique ?... Pour voir, si j’y mettais le doigt ?
ÈVE
Mettez ce qu’il faudra.
ADAM
Diable ! C’est bien étroit ! »
Il glissa sous la femme une main caressante…
Ève bondit, l’œil clos, la croupe frémissante,
Les seins tendus, les poings crispés dans ses cheveux.
Tout son être frémit d’un long frisson nerveux.
Et le soupir mourut entre ses dents serrées.
« Encore ! » Elle entr’ouvrit ses deux cuisses cambrées,
Et le premier puceau vint tomber dans ses bras !
« Encore ! Cherche encore ! Oui. Tant que tu voudras. »
Comme il croisait ses mains sous deux épaules blanches
Adam sentit deux pieds se croiser sur ses hanches.
Leurs membres innocents s’enlaçaient, s’emmêlaient.
S’ils avaient pu savoir, au moins, ce qu’ils voulaient !
O pucelage ! Alors, presque sans le comprendre,
Tous deux en même temps, d’une voix faible et tendre,
Murmurèrent : « Je t’aime. » Et le premier baiser
Vint, en papillonnant, en riant, se poser
Et chanter doucement sur leurs lèvres unies.
Dieu, pour les ignorants, créa deux bons génies :
L’Instinct et le Hasard. Or, au bout d’un instant,
Ève avait deviné ce qui l’intriguait tant.
Avez-vous jamais vu le serpent que l’on chasse ?
De droite à gauche, errant, affolé, tête basse,
En avant, en arrière, il va sans savoir où.
Il s’élance, il recule, il cherche ; il veut un trou,
Un asile où cacher sa fureur écumante.
Il cherche : il ne voit rien, et son angoisse augmente.
Mais, lorsqu’il aperçoit l’abri qu’il a rêvé,
Il entre et ne sort plus. – Adam avait trouvé !
Un cri, puis des soupirs : l’homme a compris la femme.
Les deux corps enlacés semblaient n’avoir qu’une âme.
Ils se serraient, ils se tordaient, ils bondissaient.
Les chairs en feu frottaient les chairs, s’électrisaient.
Les veines se gonflaient. Les langues acérées
Cherchaient une morsure entre les dents serrées,
Des nerfs tendus et fous, des muscle contractés,
Des élans furieux, des bonds de volupté…
Plus fort ! Plus vite ! Enfin, c’est la suprême étreinte,
Le frisson convulsif…
Ève alanguie, éteinte,
Se pâme en un soupir et fléchit sur ses reins !
Ses yeux cherchent le client ; son cœur bat sous ses reins.
Son beau corps souple, frêle, et blanc comme la neige,
S’arrondit, s’abandonne au bras qui la protège.
Adam, heureux et las, se couche à son côté.
Puis, tous deux, lourds, le sein doucement agité
Comme s’ils écoutaient de tendres harmonies,
Rêvent, dans la langueur des voluptés finies.
Mais Ève : « Dieu, vois-tu, ne fait rien sans raisons,
Dieu fait bien ce qu’il fait… Viens là ! Recommençons… »
J'ai beaucoup aimé la candeur d'Adam et Eve, leur innocence dans la découverte du plaisir sexuel. Ce texte m'amène à me demander dans quelle mesure la sexualité est une pure découverte et à m'interroger sur ce qui relève des livres, illustrations ou films que nous voyons.
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Par Irina Du Bois Sainte Marie
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Découvrez la version revisitée d'Adam et Eve sur mon site chouchou, X-art.