Isabeau de Prignac

Isabeau de Prignac

Publiée le 29 décembre 2016  

Je me rappelle vaguement de ce qui est arrivé. Mais le souvenir de la douleur s'est évaporé avec le temps. Juste une étrange sensation par moments.

— L'heure de la sentence a sonné, sorcière ! Demain, tu brûleras en enfer !

Ces mots-là, je m'en souviens très bien. Celui qui les a prononcés est mort fou. Et je n'y suis pas pour rien, je dois l'avouer.

Dans le cachot où l'on m'a jetée, les rats sont nombreux.  La pourriture et l'urine imprègnent même les rares repas que l'on m'y jette. Ma cheville est mangée par le fer de la chaîne qui m'entrave. J'ai mal et j'ai peur. 
Chaque nuit, mes gardiens me visitent à tour de rôle. Ils me frappent, m'écartèlent et se soulagent en moi. Et puis m'abandonnent, souillée, meurtrie, à mon mauvais sommeil.

Mais ce matin, le jour est à peine levé que l'on s'affaire à la porte de ma prison. Un prêtre est là qui me conjure de demander pardon à Dieu. Le bourreau est là aussi. Je reconnais ses mains et ses yeux fous. Il était là, cette nuit. Il soulève sa cagoule et me crache à la figure tandis que le prêtre à genoux débite sa dernière prière.
On me traine jusqu'au milieu de la place. Les spectateurs sont nombreux. Ils m'injurient et me lancent des légumes pourris au visage. Ma robe est souillée. Ma robe de bal. Celle que j'aimais tant et qui empeste la merde, la pisse et la semence. Soudain, un homme se rue sur moi. Il brandit un couteau rutilant en vociférant des insultes. Il est saoul mais sa main est agile. Le geste assez sûr pour m'entailler le flanc. La lame traverse le tissu finement brodé et m'entame la chair. Le sang jaillit de la blessure. Je devrais hurler de douleur mais je ne sais pas si j'ai vraiment mal. Mon corps s'effondre sur le sol. Quelqu'un m'assène un méchant coup de pied. Un enfant. Pourquoi a-t-il fait ça ? Nos regards se croisent. Il baisse les yeux et disparait. Une vieille femme empoigne ma robe et tire de toutes ses pauvres forces. Le tissu se déchire. L'air frais glisse sur mon sein livré aux quolibets de la foule. Je devrais être gênée. Il le faudrait. Je suis fille de bonne famille. On me relève. L'échafaud est tout proche à présent.

Je vais mourir. J'ai à peine dix huit ans et je vais mourir. J'étais, il y a peu, dans les bras de la princesse de Montauban. Le parfum de ses cheveux roux emplissait mes narines. Ses doigts dansaient en moi et mon âme s'envolait. Son époux nous a surprises. Malgré la puanteur de ce lieu, le parfum de ma jolie princesse m'étourdit encore et pourtant je vais mourir.

Le bourreau m'attache les mains dans le dos et passe la corde autour de mon cou. Il serre. La corde se tend. J'ai peur. La foule est immobile, silencieuse. Soudain, la trappe s'ouvre sous mes pieds.

Isabeau. Isabeau de Prignac. J'aime à me répéter mon nom. J'erre dans les couloirs du château depuis si longtemps déjà. Ce devrait être ma punition sans doute. Mais je me plais ici. La nuit y est mon domaine.

Je joue parfois à faire bouger les rideaux, à éteindre les bougies, à déranger le chat. Ceux qui habitent là s'étonnent alors et puis haussent les épaules.

— C'est le fantôme d'Isabeau. Il a des choses à dire.

Et chacun y va de sa rêverie. Je devrais dire "chacune" car Monsieur de Montauban n'est jamais vraiment là. Madame s'en accommode. Voire y trouve une certaine satisfaction. Les trois filles, Eléonore, Elisa et Eva, enchantent les longs couloirs du château de leurs rires espiègles et de leurs entrechats gracieux. Eva est la plus jeune. Elle a atteint l'âge où j'ai quitté la vie. Elisa la précède d'une année. Sa tendre discrétion a depuis longtemps conquis mon cœur. Eléonore est de cinq ans leur aînée. Toutes les trois ont la fière beauté de leur mère et le roux flamboyant des cheveux de leur père.

Chacune a ses petits secrets. Celui d'Eléonore est inavouable.

Elle sort de la douche sans prendre soin de se sécher. L'eau glisse encore sur les courbes de son corps et les boucles de ses cheveux s'entremêlent sur ses épaules. J'aime la regarder. Eléonore a la poitrine fière et les hanches larges. Ses tétons attireraient la bouche la plus indifférente.  Mais, pour l'heure, elle est seule. Elle se mire nue devant sa psyché, les mains gourmandes, les sens en éveil. Ses hanches tanguent dans le miroir et le désir monte dans son ventre.  

— Isabeau ?

Sa question n'en est pas une. Elle sait que je suis là. Le fugace courant d'air que je glisse sur elle lui sert de réponse. Elle sourit. J'aime ce sourire qui lui plisse les yeux et fait briller ses pupilles.
Je suis contre elle. Tout contre. Nos poitrines se mêlent. Ma bouche effleure son cou et vient butiner le lobe de son oreille. Sa peau érige de mille minuscules picots de frisson. Ses tétons pointent plus encore. Les tremblements de sa respiration gémissent bientôt de plaisir. Elle a fermé les paupières.

Alors, mes lèvres descendent d'entre ses seins jusqu'au creux de son nombril. Son ventre se creuse de plaisir. Mais mon parcours ne s'arrête pas là. Je descends plus encore et me perds dans sa toison. Je darde ma langue. Ses lèvres intimes ont le parfum d'amande de mon amour d'avant. Dans le miroir, l'image unique de son corps bouleversé me renvoie à mon éternité. Mais que d'harmonie dans ces reins qui ondulent et ces mains qui cherchent l'inconnu.
Elle tangue, titube et choit au beau milieu du lit, offerte à mes assauts invisibles. Son esprit bascule au rythme de mes effleurements. Ses jambes s'entrouvrent imperceptiblement et son bassin se cambre. Les draps qu'elle agrippe se froissent. Je la sens prête à me recevoir. L'extase retrouvée de la chair m'envahit. Le moment est venu. Indicible instant où tout est permis. Note bleue de notre plaisir partagé. Eléonore est prête et je le suis aussi. Je me sens tout à coup légère, libérée des chaines de mes errances. Mon corps flotte un instant au-dessus d'elle. Ses paupières s'entrouvrent.

— Isabeau ...

Cette fois, mon prénom dans sa bouche n'a été qu'un souffle. Un appel murmuré. Je me plonge un instant dans le vert de son regard. Mon courant d'air balaie la chambre. Enfin, je glisse sur elle. Son corps s'arque à se rompre tandis que les veines de son cou se gonflent d'une plainte rauque. Sa peau est chaude. Il y fait si bon. Nos esprits vont lentement se marier. Nous avons la nuit pour nous.

La lune est pleine en ce milieu de nuit. Le brouillard d'automne glisse entre les chênes centenaires. C'est contre le tronc de l'un d'eux que la jeune fille que j'étais a volé un premier baiser à la Princesse de Montauban. L'ennui qui assombrissait son quotidien auprès d'un mari trop vieux avait été mon allié. Le risque et la passion s'étaient chargés du reste. Mais ces temps-là sont bien loin. 

Pourtant, mes errances d'aujourd'hui n'ont pas effacé les sensations d'alors. Elles m'ont rendue forte. Plus déterminée à goûter aux plaisirs de l'extase des corps dans ce château qui fut le mien. Et qui l'est encore d'une certaine façon.
Tandis que j'erre dans ce parc que je connais si bien, les sens encore bouleversés par cette parenthèse dans les bras d'Eléonore, une présence m'interpelle. Quelqu'un traverse le parc en direction du château. Un jeune homme, le pas pressé et le regard prudent. Il a la belle allure de son jeune âge. Son long manteau frôle les longues herbes alourdies de rosée. Le brun de ses longs cheveux dansent sur ses épaules au rythme de sa marche empressée. Il file vers le château, prenant visiblement soin de ne pas empiéter sur le gravier bruyant. Il veut donc rester discret.
Il s'arrête soudain. Son regard balaye la façade bleuie par la lune. Je tente de deviner ce qu'il cherche, tournant autour de lui mais en vain. Lorsqu'enfin il se remet en marche, ses pas l'amènent jusqu'au pied de l'aile Sud. Les chambres des filles. Voilà donc ce qu'il veut.

Debout au pied du grand lierre qui grimpe à l'angle de la bâtisse, il se frotte les mains et en saisit le tronc. Son corps est souple et musclé. Escalader lui est facile. Il atteint bientôt le fenestron du second étage. Celui qui donne sur le couloir. Il le pousse de la main. Quelqu'un l'a donc laissé ouvert. La colère monte en moi. Je déteste les intrus. Ce château est le mien.

La moquette du couloir assourdit ses pas. Félin, il rase les murs, tous les sens en éveil. Soudain, le voilà qui sursaute et se dissimule derrière un lourd rideau en coin de mur. La charpente au-dessus de lui a craqué. Son visage tendu me met en joie. Je suis heureuse de mon effet. Mais ce n'est fini pour autant car le voici qui sursaute à nouveau. La statue de pierre dans son dos vient de lui arracher un cri étouffé.

— Isabeau de Prignac ... Vous m'avez fait une sacrée peur.

Il a passé son doigt sur les lettres gravées au bord du piédestal en souriant. Je fulmine. Sa main effleure à présent la cuisse de mon nu de granit. Et voilà qu'elle se permet de glisser jusqu'au galbe harmonieux de ma fesse.
Que de temps a passé. Mais que les souvenirs sont vifs encore de ces années de plomb. Cette longue agonie de la Princesse de Montauban, son vieux mari au pied du lit implorant son pardon. Cette statue de pierre qu'il lui offrit en vain. Cette tristesse si lourde qu'elle s'en laissa mourir. Et ma vengeance terrible qui pourtant ne sut me consoler lorsqu'enfin le corps du vieux devenu fou se balança au bout d'une corde.
Le jeune intrus a repris son chemin dans le couloir menant aux chambres des filles du château. Eléonore. Sa porte est à deux pas. Il s'en approche. Eléonore est à moi. Qu'il ose quoi que ce soit et ses nuits à venir auront rapidement raison de son esprit. Qu'il touche ce corps qui est le mien et le reste de sa vie ne sera qu'un enfer.
Mais il passe sans s'arrêter. Derrière la porte que je frôle à mon tour, les rêves d'Eléonore ont encore mon parfum.
Il délaisse tout autant la porte d'Elisa. Je sais à présent quel est son dessein. Eva. La plus enfant des trois sœurs de mon château.

Il frappe trois coups et la porte s'ouvre.

— Enfin. Tu es venu.

Elle s'est pendue à son cou. Il est bien plus grand qu'elle. Si massif sous le carcan de ses habits. Il sent le tabac et l'herbe qu'il a piétinée.

— Je suis venu honorer ma promesse.

La chambre n'est éclairée que de quelques bougies qu'Eva a disposées en un grand cercle sur le sol. Elle s'écarte de lui. Ses doigts qui glissent sur sa fine chemisette tremblent un peu. Ses yeux brillent d'envie. Son corps nu se dissimule à peine sous le fin tissu.
Soudain, elle fait un pas sur le côté et saisit une paire de ciseaux posée près d'un miroir. Elle le toise du regard et, plantée maintenant au milieu du cercle des bougies, en lèche la lame en ondulant du bassin.
Il a laissé choir son manteau à ses pieds. Sa respiration s'accélère. Son corps est aux abois. Ses yeux ne peuvent se détacher de ce jeune corps qu'il devine, de ce regard bleu osant le défier.

Alors que je glisse dans la pièce, frôlant d'un courant d'air les voilages et les rideaux qui l'habillent, une pointe de désir s'insinue doucement dans mon ventre. Les effleurements d'Eléonore se rappellent à mes sens que la danse d'Eva exaspère à nouveau. Je me glisse au plus près de la jeune sœur. Elle sent bon la soif des corps. Ce parfum particulier qui monte de la peau, cette tension au creux du ventre.

Eva est plantée au centre du cercle de chandelles. Les flammes dansent au gré de ses mouvements. Sa main saisit un premier bouton, juste là sous sa gorge. Les ciseaux s'ouvrent et tranchent d'un coup sec les fils qui le retiennent. Ce premier morceau de nacre tombe sur le plancher de bois. La chemisette s'ouvre légèrement et libère à la vue la couvée d'amour à la base d'un cou. Deuxième puis troisième coup de ciseaux. Deux autres boutons tombent au sol tandis que le galbe d'un sein vient se teinter de lumière. Mais la gourmandise des ciseaux ne s'arrête pas là. Bientôt apparait le creux du nombril d'Eva. Je ne puis retenir l'envie d'y poser ma langue. Son ventre se creuse aussitôt. Certainement pense-t-elle qu'un frisson d'impatience vient de la parcourir.

A la faveur d'un mouvement d'épaule, la fine chemisette tombe enfin à ses pieds. Une dizaine de boutons de nacre éparpillée sur le parquet de la chambre. Je contourne Eva et me glisse dans son dos. Le ventre dans le creux de ses reins, les seins tendus de désir. Mes mains posées sur sa poitrine en érigent les tétons. Je sens l'affolement de sa respiration.

Lui vient de s'approcher doucement. Il a laissé choir ses habits et, nu, vient de franchir la fine barrière de bougies. Il entre dans le cercle. Il lui prend les mains et l'invite d'un geste à s'allonger. Elle a fermé les yeux et laisse les bras vigoureux l'accompagner jusqu'au sol. La voilà nue et offerte, haletante du désir qui la submerge. De la peur aussi de cette première fois. Je tourne autour des deux corps emmêlés. Ils sont beaux. Ils accordent leur danse. Les flammes de chandelles font danser des vaguelettes de lumière à la surface de leur peau.

Les fesses de l'homme viennent de se tendre. Il est enfin en elle. La bouche d'Eva s'entrouvre. Il a pris son temps pour la conquérir totalement. Les mains de jeune femme se raidissent sur les reins de son amant. Leurs bassins se cambrent tandis que monte d'elle un feulement de chat.
Soudain, l'image de la Princesse de Montauban vient se mêler en moi à celle, plus nette encore, de la tendre Eléonore. Mes mains glissent sur le souvenir de la chaleur de leurs peaux. Ma bouche se parfume de leurs effluves mêlées. Mon bassin se cambre tout à coup d'envie. Ma poitrine se gonfle d'un soupir alangui.
Eva s'est redressée. Elle s'est agenouillée sur les hanches de son amant. Les mains posées sur le buste puissant, elle est prête à s'empaler sur le désir tendu.      

— Isabeau. Isabeau de Prignac.

Mon nom, elle l'a murmuré, le visage illuminé d'un merveilleux sourire. Surprise et charmée, je me glisse au plus près. La chaleur de son corps m'invite à l'effleurer. Il tressaille d'attente. Enfin, Eva ouvre les bras et gonfle sa poitrine. Elle est prête. La peur me saisit mais mon impatience est plus forte. J'ouvre à mon tour mes bras et entre en elle sans plus attendre.
Le soupir rauque d'Eva a envahi la pièce. Nous ne faisons plus qu'une. Un courant d'air trop fort a eu raison des flammes qui nous entourent. Seule la lune pâle peint désormais la chambre d'Eva. Je hasarde mes mains sur cette jeune poitrine que nous partageons. Qu'il est doux d'en sentir le galbe sous mes paumes. 

Eva relâche enfin ses cuisses. La chaleur qui entre en elle me pénètre à mon tour. 

Que d'années depuis la dernière fois que mon corps, vivant alors, a été ainsi possédé ! Cent ans peut-être. Ou plus encore. Mais le souvenir est resté vif. Moi qui aimait à jouer de mon ambigüité. Une allure garçonne qui me faisait voleter de sexe opposé en sexe convoité.
A l'unisson des sens, Eva et moi laissons monter en nous le plaisir d'être offertes. De n'être que l'étui langoureux d'un merveilleux joyau. Un joyau tendu au plus profond de nous et que seule l'impatience finale saura dompter et vaincre.
Perdue dans le jeune corps d'Eva, je m'abandonne bientôt aux mains gourmandes de notre amant. Impatient et adroit, il varie les plaisirs, se jouant à l'envi de l'innocence de sa jeune maîtresse. Plus experte dans le déduis, je guide de mon mieux la charmante novice qui m'a ouvert ses portes. Sans doute s'étonne-t-elle de la virtuosité dont elle fait preuve. Elle dont le plaisir jusqu'alors n'était que solitaire. 

Nous voilà donc bientôt à genoux sur le sol. Notre amant aux abois nous a saisi les hanches et guide son plaisir vers une issue plus secrète encore. Le corps d'Eva se tend d'impatience et de crainte mêlées. Mais l'homme est expert et son adresse n'a d'égale que le plaisir qu'il souhaite partager. Il entre lentement dans notre étroit fourreau. Je suis aux anges. Eva s'immobilise, muette de surprise. Notre doux assaillant a suspendu ses gestes dans l'attente du moindre mouvement de ce bassin qu'il tient toujours. Le temps s'est suspendu et la douleur s'estompe. Elle va, je le sais, se muer en plaisir.

Soudain, l'orage monte dans les corps emmêlés. La gorge d'Eva et la mienne s'ouvrent d'un cri strident. Alerté, notre amant retenu se mut en assaillant. Sa main vient  d'empoigner la chevelure rousse. L'étroit fourreau qu'il explorait prudent n'est plus rien à présent qu'un territoire conquis. Il en use, en abuse à notre grand bonheur. Je laisse monter en moi la vague de jouissance. Le corps d'Eva se transforme pour moi en un jardin délicieux.  Qu'il est bon d'être prises. Nous atteignons bientôt l'indécent nirvana avant de nous écrouler, elle et moi, repues sur le sol de la chambre. En un cri partagé.

Les couloirs du château ont retrouvé leur sérénité. Eva, devenue femme, s'est endormie à même le sol. Avant de la quitter, attentionné, son amant a glissé sur elle une épaisse couverture. Il a traversé à grands pas les jardins de cette fin de nuit. Il va bientôt passer le portail de fer et disparaître. 

Dans sa chambre, Eléonore, que les gémissements ont réveillée, s'est tournée dans ses draps. Elle se laisse glisser dans le sommeil en souriant. Elle va rêver de moi. Sa sœur Eva dort toujours.

Le jour n'est pas mon domaine. Je vais laisser le château aux bons soins des vivants. En attendant la nuit prochaine. Sombre malédiction pour un si tendre forfait. Pour l'heure, je me glisse dans la chambre d'Elisa. Une vieille malle extirpée du grenier trône au beau milieu de la chambre. Parfumée de musique et ouverte au grand jour qui va se lever, la pièce s'anime de son corps gracieux. Elle danse. 

Soudain, mes yeux se noient de larmes et mon ventre se noue. Le parfum délicat de mon amante éternelle me revient en mémoire. Elisa porte l'une de mes robes de bal. Cette robe blanche et légère que mon amour perdue m'avait offerte à mon ultime anniversaire. Cette robe chiffonnée au pied du lit de ma Princesse de Montauban lorsqu'en ce sombre soir on me traîna à demi nue hors de la demeure où nous avions commis l'irréparable. Irréparable aux yeux des bienpensants.

Encore quelques instants et le premier rayon de soleil évaporera ma présence. J'attends. Résignée.

Et impatiente aussi car l'instant magique est imminent. Mes sens sont en alerte. Et cette fois encore le miracle se produit. La Princesse de Montauban. Ma Princesse de Montauban apparait enfin. Nous avons peu de temps. Si peu de temps.
Elle glisse jusqu'à moi. Nous nous enlaçons, fiévreuses, désespérées. J'aime la douceur de ses lèvres, le goût de sa langue, la chaleur de son cou. Mais l'instant est fugace. Et déjà mon corps cède la place.
Baignée du tout premier rayon de soleil, la Princesse de Montauban me sourit tristement. Je lui confie bientôt la garde du château et le corps prometteur de la jeune danseuse.

Cette nouvelle est tirée du roman de Tristan Bay "SEMPER VOLUPTAS" en cours d'écriture. Si vous aimez sa plume, je vous invite à lire ou relire Clotilde sur ce site.

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